Au sud extrême, la Terre de Feu


À la pointe australe de l’Amérique, entre Chili et Argentine, les steppes de Patagonie et les sommets des Andes se pulvérisent en une ultime cordillère et en confettis d’îles. Découvrons en croisière, cet univers amphibie, glacé et rocheux, hanté par les indiens et les navigateurs.

Le spectacle d’une nature quasi vierge

Rien de tel qu’un bateau pour comprendre la Terre de Feu : il y a certes une grande île, partagée entre Chili et Argentine, mais aussi des milliers d’îles et d’îlots entaillées de baies et de fjords. Parmi le lacis de canaux, deux voies se détachent : le détroit de Magellan et le canal de Beagle. Suffisamment larges pur la navigation, ils relient le Pacifique et l’Atlantique sans passer par le cap Horn.

  • La cordillère de Darwin culmine à près de 2500 mètres. Les abondantes précipitations y ont formé des glaciers.  Certains s’alignent en une « avenue » le long du canal de Beagle. Ils sont nommés d’après les grandes expéditions : Espagne, Allemagne, France, Italie… Les croisiéristes explorent de près le glacier Pia, fascinés par le bleuté de la glace et le craquement des blocs qui s’écrasent dans les flots.
  • La baie d’Ainsworth, libérée par le recul du glacier Marinelli, retrace l’évolution de la flore subantarctique. Sur le rivage, on détaille les lichens puis les mousses auxquels succèdent les végétaux de tourbière et les arbustes. La forêt primaire s’installe ensuite avec ses Drimys winteri aux vertus antiscorbutiques, ses Nothofagus « ‘ faux hêtres »- et ses fougères. Bien emmitouflé, on se sent comme à la naissance du monde, d’autant qu’aucun smartphone ne capte !
  • Les animaux s’acclimatent à ce milieu difficile. Outre les renards rouges, les castors prolifèrent. Importés du Canada en 1946, ils inondent un écosystème fragile avec leurs barrages? Dans les airs  règnent les aigles, les condors andins et les oiseaux marins tels le cormoran royal ou l’huîtrier d’Amérique. Des colonies d’éléphants de mer sont visibles sur les rochers ou depuis les zodiacs.

À l’assaut du cap Horn

S’il est un nom qui fait frissonner les navigateurs, même les plus chevronnés, et évoque la fureté de mondes inaccessibles, c’est bien celui du cap Horn. Thomas Coville,  recordman du tour du monde à la voile en solitaire, décrit ainsi son émotion suite à son passage  le 8 décembre 2016 :

Ça représente beaucoup d’années de travail, une vraie pugnacité. Quand vous l’avez passé, il y a un soulagement, dû à l’anxiété des glaces, d’être loin, d’être seul, et de savoir que l’erreur est fatale. »

  • Concrètement, le cap est un promontoire chilien de 425 mètres de haut. Il se dresse parmi les falaises noires de l’île Horn (6 kilomètres sur 2 ), au sein d’un archipel classé parc national. Seule une végétation rase résiste aux bourrasques. Un phare maintient le lien avec les marins. Chaque année s’y établissent un gardien et sa famille. Ils sont ravis de raconter l’âpreté du quotidien aux passagers des croisières Australis, les seuls autorisés à y débarquer. Encore faut-il que les flots ne soient pas démontés, avec des vents à 160 km/h ! Les chanceux accèdent à la chapelle Stella-Maris et au grand albatros d’acier, statue érigée en 1992 en hommage aux naufragés. Un poème de la chilienne Sara Vial accompagne le monument et salue l’âme des marins disparus en mer :

Aujourd’hui, ils volent sur mes ailes, pour l’éternité, dans une dernière étreinte des vents antarctiques. »

  • Découvert en 1616, le cap doit son nom à la ville hollandaise de Hoorn. Ses commerçants financèrent l’expédition des explorateurs Willem Schouten et Jacob Le Maire qui furent les premiers à le franchir. Jusqu’à l’ouverture du canal de Panama, en août 1914, le passage de Drake, entre le cap Horn et l’Antarctique, fut une route commerciale essentielle pour relier les deux océans. Les clippers, ces grands trois ou quatre mâts du XIXe siècle, ont fait désormais place aux navires touristiques et aux monocoques du Vendée Globe.

Deux ports de pionniers

La compagnie Australis relie, dans un sens ou dans l’autre, les villes de Punta Arenas et d’Ushuaia, côté Argentine, via le cap Horn.

  • La chilienne Punta Arenas, fondée fin 1848, est la plus grande agglomération de Terre de Feu avec 130 000 habitants. Située à l’ouest du détroit de Magellan, elle bénéficia d’une petite ruée vers l’or et d’un commerce très prospère jusqu’au début du XXe siècle. En témoignent la place d’Armes avec la cathédrale, le grand hôtel, la statue de Magellan et quelques hautes maisons ou, un peu plus loin, les mausolées du cimetière. Le musée Braun-Menéndez, bâti au début du XXe siècle par l’architecte français Antoine Beaulier, a gardé un mobilier et une décoration étonnamment cossus pour de telles contrées.
  • Ushuaïa : pour les Français, ces quatre syllabes évoquent irrésistiblement l’émission présentée par un Nicolas Hulot alors jeun et intrépide animateur.. Même si elle se fait voler le titre de ville la plus australe par Puerto Williams, Ushuaïa , 70 000 habitants, attire les trekkeurs et tous ceux qui rêvent d’embarquer pour l’Antarctique. Et le frisson n’est pas loin lorsque, au bout du quai, se détachent les ruelles pentues sur fond de cimes enneigées.

La mémoire des Amérindiens

Quand Magellan traversa, en 1520, le détroit qui porte son nom, il fut frappé par le nombre de feux allumés par les autochtones. Le nom de cette terre était trouvé. Il atteste d’une implantation humaine bien antérieur à l’arrivée des Européens.

  • Établis il y a 12 000 ans, les Amérindiens étaient environ 20 000 à l’époque de Magellan. Des tribus pratiquaient la chasse et la cueillette sur la Grande île: les Onas, ou Selknams, et les Haushs ou Manekenks. Plus au sud, parmi les canaux, évoluaient nus sur leurs canoës les Yamanas oy Yagans, et les Alcalufes ou Kawéskars. La suite n’est que massacres, maladies importées et assimilation forcée. Il resterait une douzaine de Kawéskars et une seul Yagan : Christina Calderon, 89 ans, considérée comme un trésor national chilien.
  • La baie Wulaia, sur l’île Navarino, porte le souvenir des tribus indigènes. Charles Darwin débarque ici en 1833 et y rencontra la plus grande communauté yamana de la région. Mais plus que dans la station reconvertie en musée, c’est dans les hauteurs, face à la splendide baie, que plane l’esprit de ces peuples en osmose avec la nature.

Plutôt Santiago ou Buenos Aires ?

Avant de descendre jusqu’aux confins du continent, les Européens transitent obligatoirement par la capitale chilienne ou argentine.

  • Ce qui frappe à Santiago, c’est la couronne de sommets qui encadrent la capitale chilienne de 7 millions d’habitants. L’ascension en funiculaire de la colline San Cristobal en donne la mesure… si la pollution se dissipe. Du quartier huppé de Las Condes à celui plus branché de Bellavista, on passe une journée intéressante, guère plus.
  • Buenos Aires se revendique à raison comme la capitale du tango. La vibrante métropole argentine, 14 millions d’habitants, compte aussi des parcs à n’en plus finir, un centre-ville à rendre jaloux le baron Haussmann , le souvenir d’Evita Perón, les effluves de bœuf grillé, les effigies de Mafalda ou du pape François, le quartier bohème de La Boca…Un séjour toujours trop court.